Quand ils n’avancent pas, ils reculent, dépassés

Il survient parfois des moments où l’on ne peut plus tergiverser ni biaiser. Les autorités européennes y sont parvenues, qui se raccrochent à l’idée qu’Angela Merkel va être porteuse d’une solution politique. Mais ce n’est pas si simple, car la Cour de Karlsruhe et la Bundesbank sont en droit hors de sa portée et on ne plaisante pas avec cela en Allemagne. Après tout, se disent-elles, les étapes de la construction de l’Europe n’ont cessé de reposer sur des compromis et cela va continuer ainsi, car elles ne voient pas d’autre solution.

Une telle issue a cependant de fortes chances de se révéler illusoire, car cela procède d’une incompréhension de ce que représente l’arrêt de la Cour constitutionnelle allemande. En réalité, cela couvait depuis longtemps, ses arrêtés antérieurs procédaient de la même lecture de la Loi fondamentale, mais elle n’était pas encore passée à l’acte. C’est désormais un fait incontournable : la construction européenne et la naissance de l’euro reposaient sur des ambiguïtés qui ne peuvent plus être tenues.

Les juges de Karlsruhe se sont reposés sur deux principes constitutionnels à tort sous-estimés. Ceux-ci déterminent la limite des transferts de souveraineté, qui ne peut être total, et réclament l’application d’un principe de « proportionnalité  » au premier abord un peu mystérieux. Le premier fait certes l’objet de discussion entre juristes allemands, mais ce qui ressort de la Loi fondamentale est de leurs seules prérogatives ! En l’occurrence, les juges s’appuient sur une interprétation de l’article 23 du Traité de Maastricht que le rédacteur de leur dernier arrêt, Peter Huber, vient de renouveler dans une inhabituelle intervention dans les colonnes de la Frankfurter Allgemeine Zeitung. Il en ressort que l’Union européenne ne peut être qu’une coordination politique entre États souverains.

Les juges ont consacré plus de 100 pages à une interrogation détaillée sur le défaut de «proportionnalité » à propos duquel ils demandent des comptes. Ni le sort des épargnants allemands, ni celui des compagnies d’assurance ne leur a échappé, ces grandes victimes de la baisse des taux de la BCE, seul celui des banques n’a pas été évoqué. Et pour cause, car une très large part du système bancaire échappe à son contrôle et à l’ensemble des règles de l’Union bancaire (*) ! Pour la Cour, les effets des mesures de la BCE sont disproportionnés, la cause est entendue et la BCE est sommée de faire la preuve du contraire.

Que vont peser dans de telles circonstances les remparts derrière lesquels la BCE s’abrite, son indépendance vis à vis de la Cour – dont la Bundesbank ne peut pas se prévaloir – et ses mesures qui ne cadrent avec sa mission de stabilité des prix qu’en s’appuyant sur une fragile construction théorique de circonstance ? Par voie de presse, Peter Huber a fait savoir que si la Commission engageait une procédure d’infraction contre l’Allemagne, une crise constitutionnelle s’en suivrait. Ils en sont là.

Si la BCE n’est pas en mesure de changer de politique et la Cour de Karlsruhe de convictions, comment se raccrocher aux branches ? Les autorités européennes n’avaient pas besoin de ce nouveau problème, alors qu’elles remettent en cause leur arbitrage initial entre protection sanitaire et de l’économie. Le redémarrage de celle-ci est prioritaire, car la prolongation de sa chute aurait des effets de moins en moins contrôlables dans l’avenir. Plus le temps passe, plus il sera difficile de retomber sur ses pieds au seul prix de mesures très calibrées, d’autant que le déficit n’est pas seulement financier mais aussi de confiance. Le réveil sera d’autant plus délicat à maitriser que les pansements seront tardivement retirés.

Donald Trump, Jair Bolsonaro, Boris Johnson et Emmanuel Macron ne sont pas faits du même bois, mais ils ont en commun d’être animés par la même crainte de voir le tapis tiré sous leurs pieds. Par delà leurs différences, ils sont tous largement dépassés et ne sont pas les seuls parmi leurs pairs.


(*) L’Allemagne a de ce point de vue un pied dedans et un pied dehors de la zone euro.

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